Dans le cadre des travaux de suivi des opérations de curage de la retenue de Saint Lazare par Électricité de France, l’Université d’Aix Marseille est chargée de suivre l’évolution de la population d’aprons du Rhône sur le Buëch aval. Retour sur une journée de pêche électrique avec Rémi Chappaz, ichtyologue à l’université d’Aix Marseille (AMU).
Le contexte : pourquoi un suivi de la populations d’aprons ?
Dans le courant des années 2000, les bas quartiers de Sisteron ont été inondés à plusieurs reprises. L’engravement de la retenue hydroélectrique de Saint Lazare, gérée par EDF, a rapidement été identifié comme un facteur aggravant. En effet, les alluvions charriés par la Durance et le Buëch en période de crue s’amoncèlent pour une grande part dans la retenue, augmentant ainsi le niveau du plan d’eau.
Après concertation et études idoines, EDF est chargé de procéder à un curage de la retenue chaque fois que cela est rendu nécessaire par les crues. Ces curages sont encadrés par un arrêté interpéfectoral qui prévoit différents suivis du Buëch et de la Durance afin de limiter les effets négatifs de ces opérations, spécialement dans un milieu naturel d’une grande richesse écologique tel que le Buëch.
Parmi ces suivis figure l’analyse de l’évolution de la population d’aprons sur la Durance et le Buëch. Ce suivi a été confié à l’équipe de Rémi Chappaz, professeur des Universités d’Aix Marseille (AMU) et membre d’unité de recherche mixte INRAe-AMU risques écosystème, vulnérabilité, environnement et résilience.
Un inventaire de la population d’aprons par pêche électrique
Chaque année, Rémi Chappaz et son équipe procèdent au suivi de 4 stations d’inventaire de la population d’aprons sur le Buëch entre Ribiers et la retenue de Saint Lazare. L’inventaire est conduit selon la technique de la pêche électrique : sur chaque tronçon suivi, 40 sondages sont réalisés. Les aprons capturés sont inventoriés et mesurés avant d’être remis à l’eau.
En 2021, la campagne d’inventaire de la population du Buëch aval s’est déroulée le jeudi 4 septembre. Georges Olivari, directeur de la maison régionale de l’eau de Barjols et maître de conférence associé à l’AMU, est venu prêter main forte à l’équipe de l’AMU. Mais cette année, l’apron s’est fait rare : au total, sur les 4 tronçons inventoriés, 14 individus ont été capturés. Parmi eux aucun juvénile, ce qui semble indiquer qu’il n’y pas eu de reproduction cette année.
Retour en images sur cette matinée de pêche électrique :
La pêche électrique est une technique d’inventaire des populations de poisson. Le courant électrique généré par l’équipement de pêche attire et assomme temporairement le poisson. Une équipe de pêcheurs armés d’épuisette est située l’aval immédiat du pêcheur, afin de récupérer les poissons attirés par le courant électrique.
Le générateur électrique, à dos d’humain dans ce cas Vue de détail Branchements de l’anode et de la cathode L’anode, qui est manipulée par l’opérateur La cathode, qui flotte dans le courant derrière l’opérateur L’anode en action, on devine quelques poissons attirés par le courant électrique Les poissons sont dirigés vers les épuisettes
Les poissons sont ensuite inventoriés (comptage, mesure, éventuellement prélèvement d’écailles, récupération de selles ou de contenus stomacaux). Les poissons sont enfin remis à l’eau. Cette méthode permet d’étudier une population de poissons en rivière sans porter atteinte à ses effectifs.
Mesure d’un apron capturé Mesure d’un autre apron Le carnet et le crayon, indémodables serviteurs de la recherche Les aprons mesurés reprennent leurs esprits Une fois relâché, l’apron se fond dans le décor !
Il n’y a pas que l’apron du Rhône dans le Buëch :
Les informations récoltées sur la population d’aprons
Les données recueillis en plus de 10 ans de suivi de la population d’aprons dans le cadre du curage de la retenue de Saint Lazare ont permis d’approfondir la connaissance des aprons du Buëch.
Ces données s’ajoutent à de nombreuses autres études, thèses ou analyses génétiques de l’apron du Buëch (voir ci-dessous) conduites depuis plus de 20 ans. Voici les principales observations que Rémi Chappaz nous a faites parvenir :
- sur le Buëch, après plus de 10 ans de suivis, il apparait qu’il n’y a pas de recrutement (naissance et croissance d’une génération d’alevins) d’aprons tous les ans; il semble notamment que les crues printanières, de fonte des neiges ou de pluies, lorsqu’elles sont morphogènes (c’est à dire que le débit de la crue et assez fort pour déplacer les galets et remanier le lit du Buëch) ont un impact très grand sur les juvéniles d’aprons de petites tailles (15-25mm);
- s’il y a des juvéniles contactés pendant les inventaires, c’est sur le tronçon du Buëch situé en aval de Ribiers, jamais en amont;
- il existe un gradient croissant de densité d’individus au fur et à mesure que l’on se rapproche de la confluence du Buëch avec la Durance;
- l’étude génétique des populations Durance et Buëch réalisée par ailleurs a montré cependant que la population d’aprons du Buëch était autonome, c’est-à-dire qu’il y avait une reproduction d’aprons sur le Buëch;
- lorsqu’il y a curage du piège à graviers à l’entrée de la retenue de Saint Lazare, des juvéniles d’aprons sont capturés lors des pêches de sauvetage (on peut en déduire qu’il s’agit de juvéniles capturés lors des pêches électriques de sauvegarde qui précèdent le curage, juvéniles relâchés dans le Buëch en amont);
- suite à l’inventaire 2021, on constate deux années 2020 et 2021 sans recrutement, il faudra étudier la chronologie des crues de printemps et leur intensité. De ce fait la population (dont le gros de la densité qui est représenté par des 0+ – 0 à 12 mois -et des 1+ – 1 an à 2 ans-) présente une densité très faible en 2021.
- est-ce inquiétant ? Oui et non. Le milieu effectivement ne semble pas très favorable à l’apron, les eaux sont chaudes et cela ne va pas s’arranger avec le changement climatique. Mais nous nous sommes déjà trouvés dans de telles situations en 2013, 2014, 2015, 2018 et la population a pu renouveler ses effectifs.
Pourquoi un tel suivi de l’apron ?
Selon Wikipedia, l’apron, de son vrai nom apron du Rhône ou encore Zingel asper, est un poisson d’eau douce de la famille des percidés. Il est endémique du bassin Rhône-Méditerranée-Corse et de quelques cours d’eau de Franche-Comté.
L’apron du Rhône est actuellement considéré comme en voie d’extinction et est pour cette raison inscrit à l’annexe 2 de la directive Habitats et donc considéré, comme son habitat, comme d’intérêt européen.
On le considère comme un bon indicateur de la qualité des cours d’eau, car étant très sensible aux modifications physiques et biochimiques de son environnement.
Le plan national d’actions pour l’apron du Rhône précise quand à lui que l’apron est un poisson emblématique du bassin du Rhône en raison de son endémisme, mais aussi parce qu’il témoigne de la qualité biologique et fonctionnelle de nos cours d’eau, l’apron reste une espèce en danger critique d’extinction et ce statut requiert toujours une vigilance de chaque instant.
Sur le Buëch et la Durance, l’apron du Rhône fait donc l’objet d’une attention particulière de la part des gestionnaires de rivière, des industriels tels qu’EDF, de l’Office de la Biodiversité et du monde de la recherche.
Cette attention spécifique remonte aux études qui précèdent la mise en eau du barrage de Saint Sauveur sur le Buëch, dès le milieu des années 1980, sous l’impulsion notamment de Philippe Moullec alors agent du Conseil Supérieur de la Pêche (ancêtre de l’OFB) en charge du Buëch.
Le laboratoire de Rémi Chappaz suit des stations d’études sur le Buëch ayant donné lieu à plusieurs thèses de doctorat ( VESPINI 1985, GILLES 1998, puis COSTEDOAT, CORSE, SIMANA, UNGARO 2018 notamment) depuis 1984.
Une étude génétique des populations d’aprons du Buëch et de la Durance a été conduite au début des années 2010 avec le soutien financier d’EDF, étude ayant mis en lumière la spécificité génétique de la population d’aprons du Buëch.